La boutique de souvenirs avait quelque chose de fascinant, qui avait émerveillé Hugo la première fois qu'il y était entré. Peut-être était-ce ce mélange de neuf et de vieux, cet assemblage de lampes LED au dernier cri avec des étagères de bois « old school ». Les objets qui y étaient exposés disposaient de ce charme désuet, qui vous donnait envie de les acheter alors qu'ils ne vous servaient à rien. Hugo était tombé sous le charme de la boutique, et il lui arrivait de se laisser tenter par une babiole qu'il jugeait trop belle pour ne pas la voir trôner dans sa chambre. Dans l'appartement qu'il partageait avec son petit ami, Hugo disposait de sa propre chambre. C'était parfois un peu un inconvénient, car il n'aimait pas être séparé d'Asher même s'il n'y avait qu'une cloison entre eux, mais cela avait un avantage : pour tout le monde, c'était une vraie colocation. Et cela laissait plus de place pour Hugo d'exposer des objets. Sa chambre était plutôt impersonnelle, exceptée ces petites touches qu'il créait toujours avec parcimonie, pour ne rien encombrer. Mais bien sûr, tout cela n'aurait pas été possible s'il ne connaissait pas le propriétaire : un voisin de sa mère - donc son voisin quand il était petit -, qui avait décidé, quelques mois auparavant, de se lancer dans ce nouveau commerce. Hugo avait gardé contact avec cet homme, et venait parfois l'aider quand il en avait besoin. Aujourd'hui, l'homme souhaitait faire du rangement dans ses rayons, mais n'ayant pas d'employé, il était venu demander un coup de main à Hugo, qui avait accepté. Porter des cartons et sortir leur contenu n'avait rien de bien compliqué, surtout quand on était guidé. Le propriétaire lui avait dit où ranger ce carton d'ours en peluche au style rétro, et Hugo s'était empressé de les poser sur la bonne étagère, pendant que son ancien voisin se rendait à la cave.

A ce moment-là, quelqu'un entra dans la boutique. Hugo n'était pas vendeur, il ne travaillait pas mais ne faisait qu'aider. Ce n'était donc pas son rôle d'accueillir le client potentiel, mais un bonjour était le minimum. La main sur un nounours à la fourrure particulièrement douce, il se baissa un peu pour apercevoir le client à travers le présentoir. C'est ainsi qu'il aperçut une femme aux cheveux bruns, qui observait la boutique. Hugo l'entendit demander s'il y avait quelqu'un, puis se diriger vers le fond, où il se trouvait, puis à observer une poupée de cire. Le jeune homme eut peur de l'effrayer en lui disant bonjour, aussi s'approcha-t-il d'abord, la laissant entendre ses pas pour qu'elle ait conscience de sa présence.

« Bonjour, mademoiselle. Le propriétaire est en bas actuellement, mais je peux peut-être vous renseigner ? »

Il ne savait pas qui elle était, ne l'avait jamais vu, et ne se doutait pas qu'il avait déjà croisé son chemin un jour. Encore moins qu'il avait évité la mort de justesse, sans même s'en rendre compte. Il se contenta donc d'une approche purement professionnelle, même si ce n'était pas son métier.

La jeune femme qui se trouvait face à lui n'avait rien de familier. Hugo se serait souvenu d'elle s'il l'avait déjà rencontré. Il n'y avait donc rien d'anormal dans tout cela. Pourtant, quelque chose le dérangeait en elle. C'était sans doute sa manière de le regarder, qui était un peu étrange et le mettait mal à l'aise. Pas un regard de prédateur, heureusement, sinon, il se serait rendu compte que quelque chose clochait , mais elle semblait le dévisager avec une telle insistance qu'il avait l'impression d'être un cheval qu'elle avait envie d'acheter. Comme si sa personne était plus intéressante que les produits exposés en rayon... Bah, il devait se faire des films. Peut-être qu'elle était en train de se dire qu'il n'était plutôt pas mal ? Apparemment, les filles aimaient bien regarder les garçons, et elle n'avait pas de raison de savoir qu'il était déjà en couple avec un autre garçon. De toute façon, ce n'était pas son problème : il ne la connaissait pas, ne pensait pas croiser son chemin à nouveau, alors il n'allait pas s'offusquer de son regard. Le jeune homme lui rendit son sourire comme s'il travaillait vraiment dans la boutique. Elle finit par lui dire qu'elle n'avait pas besoin de renseignements, ce à quoi il acquiesça.

« Pas de soucis. De toute façon, si vous avez besoin de lui, Mr Hudnall est à la cave, il ne devrait pas tarder à remonter. »

La jeune femme le dépassa, et Hugo pensa qu'il pourrait reprendre son rangement rapidement. Il ne put donc pas du tout voir la réaction de la jeune femme, et était tout aussi inconscient que la première fois où il l'avait rencontrée. Il ne voyait pas pourquoi il se méfierait. Il n'était pas de ceux qui pensaient que les femmes étaient moins dangereuses que les hommes, mais il avait bon fond, et il savait qu'on ne pouvait pas non plus se méfier de toutes les personnes qui entraient dans une boutique. Sinon, on n'en aurait jamais fini, et Hugo n'aimait pas vivre dans la défiance. Il en avait déjà assez de se poser des questions sur son copain, alors qu'il avait des éléments qui lui prouvaient nettement qu'il lui cachait quelque chose. Il n'allait pas en faire de même avec une inconnue, alors que rien ne lui montrait qu'elle pouvait être un danger, et... La demande de la jeune femme le surprit tellement qu'il en sursauta. Peut-être qu'elle ne lui inspirait pas totalement confiance ; en tout cas, il n'avait pas envie de lui montrer son malaise. Aucune raison de la craindre, et pourtant, son instinct lui disait qu'il valait mieux s'en tenir à un rapport purement professionnel avec elle. L'instinct de Hugo était très fort, et souvent, tombait très proche de la vérité, même s'il ne s'en rendait pas compte. Il ne pouvait pas savoir qu'il avait encore à affaire à un loup-garou, était très loin de l'imaginer ; mais la désagréable sensation de picotements dans ses épaules suffisaient.

« Euh... oui, bien sûr, vous voulez lequel ? »

Elle s'était exprimée d'une façon mielleuse qui le mettait sur ses gardes. Ne serait-ce parce que, quand on est un garçon, et qu'une fille vous parle sur ce ton, cela signifie toujours qu'elle a quelque chose en tête. Hugo alla chercher le petit tabouret bancal dont il se servait pour les objets en hauteur – il était d'une taille tout à fait correcte, mais les étagères étaient encore un peu grandes, et c'était plus confortable d'avoir la tête au dessus de l'étage que l'on veut explorer – et monta dessus. Il prit un des hiboux, en se retenant de frissonner à la pensée que cette chose était un animal vivant, autrefois. Quelle fille pourrait avoir de... ça ? Il ferait mieux de rester sur ses gardes. Il ne faisait pas confiance aux gens qui avaient envie d'acheter un animal empaillé. Alors qu'il voulut descendre, tout à coup, son pied glissa, et le tabouret tomba à la renverse, entraînant le jeune homme dans sa chute. Il eut juste le temps de serrer le hibou contre lui et d'essayer de ne pas renverser un présentoir ; ensuite, ce fut le choc, et Hugo en eut le souffle coupé. Puis il se rendit compte qu'il était tombé juste aux pieds de la jeune femme, qui allait certainement le prendre pour un idiot maladroit. Très drôle. Il était tellement inquiet pour des broutilles qu'il avait oublié que ce tabouret était bancal. Il fallait toujours être prudent quand on montait dessus. Bon sang, ça faisait mal. Hugo adressa un sourire penaud à la cliente.

« Désolé, j'avais oublié... il vous convient, j'espère ? »

Il lui tendit le hibou, espérant qu'elle allait le prendre en vitesse, car il n'était pas à l'aise avec ce truc en main, qui l'empêchait de se servir de ses mains pour se relever. Bon, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait se reconvertir dans la carrière de vendeur. Heureusement que ce n'était pas son projet professionnel !

Hugo se traita mentalement d'idiot et essaya d'avoir l'air toujours aussi assuré face à la jeune femme. C'était déjà assez pénible de s'être ridiculisé devant elle – surtout qu'il lui aurait été aisé d'éviter la catastrophe – mais si en plus, il continuait d'être gêné jusque là... Enfin, il ne travaillait pas vraiment dans la boutique, donc la prochaine fois qu'elle le reverrait, ce serait sans doute ailleurs, et elle n'aurait aucune raison de le reconnaître. Hugo ne souffrait pas volontiers de la honte, mais dans ce cas précis, quelque chose le dérangeait plus que tout. Il ne pouvait pas identifier une cause précise de son malaise ; c'était simplement qu'il le ressentait amèrement. Au moins, la cliente avait ce qu'elle voulait. Tout aurait pu s'arrêter là, mais tout sembla déraper quand, une fois qu'elle eut le hibou empaillé en main, elle le jeta au loin, brisant par la même occasion un pauvre vase qui n'avait rien à voir avec cette histoire. Dès qu'elle eût commis cela, Hugo avait compris que les choses risquaient de mal tourner. La colère l'envahit. Il détestait les personnes irrespectueuses des affaires des autres, et il était d'autant plus fâché qu'il était tout de même tombé pour lui attraper ce qu'elle désirait ! S'il n'avait pas été aussi poli, il l'aurait sans doute traité de tous les noms. Il était clair qu'elle s'était moquée de lui, et c'était une des choses que Hugo n'appréciait guère. Il était très gentil, et on pouvait se permettre beaucoup avec lui, mais il n'était pas un idiot, et il ne supportait pas quand on le considérait comme tel.

Sa colère se transforma en gêne quand la jeune femme s'approcha et lui murmura dans l'oreille. Le sang de Hugo se glaça. Non, mais elle était complètement folle ou quoi ? Il n'était pas comme le hibou empaillé, qu'elle pouvait traiter comme quantité négligeable et jeter au loin quand elle n'en avait plus besoin. Il semblait que la jeune femme lui faisait une proposition déplacée, mais avec un air de prédateur qui laissait présager le pire. Il avait presque envie de lui avouer qu'il était gay et que son cœur n'était plus à prendre. Presque. Sauf que la situation se changea en un éclair, passant d'un désir que l'on pouvait croire sexuel à un autre plus... glauque. C'était quoi, ces choses qui lui sortaient de la bouche ? Et pourquoi est-ce qu'elle grognait comme un animal ? Hugo avait l'intuition du surnaturel, mais n'était toujours pas passé au stade de l'acceptation. A croire que cela le dérangeait autant d'admettre cela que son homosexualité... Cela dit, là, il devait quand même admettre que c'était flippant. Le jeune homme se recula un peu, les yeux ronds, ne sachant pas trop ce qu'elle lui voulait vraiment. Sans doute lui faire peur pour s'amuser.

« Désolé, mais je ne suis pas à vendre, rétorqua-t-il en se retenant de rire. Je doute que vous ayez quelque chose à faire de ma peau. Au fait, c'est très moche, vos dents de vampire. Vos plaisanteries sont vraiment de mauvais goût. »

Il ne savait pas si elle portait de fausses dents ou non, cela dit, il avait entendu parler de fous qui se faisaient opérer pour avoir des dents pointues. D'accord, dans son cas, il y avait un peu plus que des canines, mais bon, des dents pointues, cela lui faisait plus penser à des vampires qu'à autre chose, et si ce qu'on disait sur eux était vrai, ils n'opéraient que la nuit, étant incapables de se balader en plein jour. Sauf dans Twilight, mais le soleil ne semblait pas la faire briller non plus. Le mathématicien qui sommeillait en lui lui disait de prendre les choses avec rationalité, et il était impossible qu'elle fût une créature surnaturelle. Donc c'était de fausses dents, décida-t-il. N'empêche, elle jouait drôlement bien la comédie. C'était peut-être une caméra cachée ? Il n'avait jamais trouvé cela drôle, mais apparemment, certains imbéciles adoraient se fendre la poire en regardant de pauvres gens se faire piéger. Bah, du moment que c'était pour rire, Hugo n'allait pas s'en offusquer.

« D'ailleurs, je pense que le patron vous fera payer pour le vase. Sauf si je dis que c'est moi qui l'ai cassé, mais je ne vois pas pourquoi je le ferais, et... bon sang, vous voulez bien arrêter de baver ? J'ai l'impression d'être un morceau de viande... »

Malgré lui, Hugo frissonna. A aucun moment, alors qu'il lui avait montré qu'il n'était pas trop impressionné, elle n'avait renoncé à sa comédie ridicule. Non, elle continuait de l'observer... hé bien, comme un morceau de viande, la comparaison était bien trouvé. Ses yeux paraissaient presque fous. A ce moment-là, Hugo prit vraiment peur. Et s'il était tombé sur une psychopathe qui aimait tellement le surnaturel qu'elle tuait des gens en se déguisant en vampire ? L'angoisse totale. Hugo se recula encore, mais tout à coup, le rayonnage se retrouva juste contre son dos, et il comprit qu'il ne pouvait plus conserver de la distance entre eux deux. Le cauchemar.

Hugo était coincé contre le présentoir avec une folle en face de lui. Il fallait bien qu'elle fût folle, pour le regarder avec une telle expression. Il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur. C'était irrationnel, elle ne pourrait pas lui faire grand-chose, non ? Et pourtant... elle semblait en proie à la démence. Comment est-ce que l'on se défendait contre quelqu'un qui ne voulait pas entendre raison ? Il avait beau essayé de lui faire comprendre que son attitude était irrespectueuse, cela la faisait juste rire. On aurait dit une incarnation du mal, presque une créature des ténèbres, en fait. Hugo essaya de ne pas se tasser contre le rayonnage à mesure qu'elle s'approchait, avec son sourire délirant aux lèvres. Elle pouvait être jolie, quand elle était gentille, mais toute sa beauté avait disparu, laissant place à une bestialité qui déformait ses traits. Il s'efforça de garder un visage aussi impassible que possible. La colère se mêlait à la peur, en l'entendant. Une fille aussi irrespectueuse des autres lui donnait envie de vomir. Et après, on s'étonnait qu'il était gay ! L'appeler son « petit morceau de viande » ne lui plut pas du tout. Hugo était quand même une personne, douée de raison, de sentiments. Elle pourrait au moins s'en souvenir, mince ! Ce qui choqua le plus Hugo, cependant, ce fut son désintérêt total pour le vase. Il coûtait une fortune, et elle croyait que ce n'était rien ? Donc elle méritait vraiment d'être enfermée à l'asile... Malgré sa peur, Hugo s'efforça de sourire. Il ne la croyait toujours pas quand elle disait qu'elle ne plaisantait pas, vu que pour lui, ce genre de créatures ne pouvaient pas exister. Il fallait donc qu'elle fût complètement paumée dans son délire, incapable de discerner la réalité de son monde. Oui, ce devait être cela. Il n'en était pas rassuré pour autant : elle était toujours très dangereuse, et qui pouvait savoir ce dont elle était capable ? Ce serait bien sa veine s'il mourait déchiqueté par ses petits crocs ridicules !

« Du calme, d'accord ? Si je vous ai vexée, j'en suis désolé, mais on peut en parler tranquillement, pas besoin d'en venir aux mains... »

Hugo était loin de ressentir cette assurance. Il se sentait pris au piège et commençait à se demander comment il allait pouvoir s'en sortir. La jeune femme avait l'air encore plus fiévreuse qu'avant, comme si la vue de Hugo l'excitait. Il n'aurait jamais pensé que quelqu'un deviendrait fou rien qu'en le voyant. Hélas, il aurait aimé expérimenter cela dans d'autres circonstances. Il commença cependant à froncer les sourcils quand elle prétendit l'avoir déjà vu. Seul dans son appartement. Mince, elle l'avait espionné ? Hugo ne vivait pas seul, mais Asher n'était pas du tout présent. Pour ce que cela changeait. Hugo ignorait tout de la véritable nature de son petit ami, même s'il avait une petite intuition : il ne pouvait pas savoir qu'il était comme la jeune femme qui était en train de l'agresser. D'ailleurs, l'aurait-il su, il l'aurait sans doute très mal pris. Il aurait pu l'accepter facilement, mais s'il associait l'image de la jeune femme, il risquait d'avoir du mal à l'admettre quand même. La perspective qu'elle ait pu l'espionner l'effrayait plus que le fait d'avoir été surpris en flagrant délit d'homosexualité. Ce n'était pas un crime, et même s'il n'arrivait pas encore à l'admettre ouvertement, que quelqu'un le sût faisait quand même partie de l'ordre des choses. Mais qu'elle lui ait tourné autour sans qu'il le sût... Ce mélange de colère et de peur menaçait toujours de le faire exploser.

« Je m'en souviendrais, si j'avais vu une folle me tourner autour. » : marmonna Hugo, qui se demandait si elle n'était pas en train de le faire marcher.

Il était très rationnel, et il se disait que ce serait très facile de le manipuler dans un tel état. Une accusation pareille pouvait faire des ravages. Aussi, tant qu'elle ne lui donnerait pas de preuves qu'elle savait, Hugo ne la croirait pas. En revanche, si elle connaissait Asher... ô horreur. Le jeune homme avait beau avoir des doutes sur les activités nocturnes de son chéri, il n'avait pas envie qu'il lui arrivât quelque chose. Cela l'angoissait presque plus que de se faire bouffer par la jeune femme. Il détestait quand on s'approchait trop de son copain.

Soudain, la jeune femme pressa ses lèvres contre les siennes. Hugo tenta de se dégager, mais impossible de conserver sa dignité. Pour lui, ce n'était pas un baiser : elle profitait tout simplement de son avantage. C'était loin d'être aussi bon que lorsque c'était Asher qui l'embrassait : quand c'était son petit ami, il y avait une véritable tendresse dans le geste, c'était une véritable communication. Mais elle, elle ne faisait que prendre ; cherchant à lui arracher son honneur, elle était monstrueuse. Sa main lui prit la gorge, et Hugo commença à sentir un début d'étouffement alors qu'elle enlevait son T-shirt. Enlever son T-shirt ? Hé la, elle n'allait pas le violer quand même ? Hugo n'avait absolument aucune idée de ce qu'elle voulait, mais quand une fille en soutien-gorge vous vole un baiser en vous maintenant contre une étagère, ce n'est en général pas pour vous acheter un fichu hibou empaillé. Non, là, ça devenait vraiment trop.

« Lâche-moi ! »

Hugo leva le genou pour lui décocher un coup de pied dans le ventre. D'accord, elle était peut-être plus résistante que les autres femmes, mais Hugo était quand même un homme, il n'était pas dénué de force physique. Le ventre était en général une partie sensible. Il n'allait pas lui enfoncer les doigts dans les yeux, sauf si c'était nécessaire, et il n'était pas assez bien placé pour lui déboîter la rotule, mais c'était normalement tout aussi efficace. Le jeune homme profita de l'instant de surprise pour s'échapper de la poigne de la jeune femme et commença à courir dans les rayons. Il devait atteindre la porte ; une fois dehors, elle oserait moins lui faire du mal, vu qu'il y avait du passage dans la rue. Atteindre la porte, tout en l'empêchant, elle, de l'atteindre lui ; difficile, mais pas impossible.

La jeune femme était devenue complètement sauvage, refusant d'entendre la voix de la raison. Elle semblait furieuse, et Hugo commençait à avoir peur pour son ancien voisin. Qu'allait-il se passer s'il venait et s'en mêlait ? Il risquait d'y perdre plus que quelques plumes... Se faire bouffer par une ravissante jeune furie n'avait rien de très agréable, mais le fait de savoir qu'un autre pouvait subir le même sort était horrible. Hugo entendit un bruit de tissu déchiré, comme si la cliente avait complètement enlevé ses vêtements, et de façon assez sauvage. Mais qui était-elle ? Elle devait avoir une case en moins dans la tête. Hugo regarda entre les rayons, et vit... une forme sombre, il n'arrivait pas à distinguer plus avec l'éclairage tamisé de la boutique... s'approcher de la porte d'entrée, comme si elle avait compris ce qu'il comptait faire. Bon, au temps pour le plan qu'il avait mis en place. Il restait une autre solution, mais ça risquait de ne pas être facile. Le jeune homme s'éloigna jusque dans l'arrière boutique, referma à clé derrière lui. Cela la retarderait, au moins, le temps de se mettre à l'abri. Cela dit, il doutait que ce fut une barrière efficace. Il ne savait pas pourquoi, mais il en avait l'intuition, et son instinct ne le trompait jamais. Il était persuadé qu'elle avait la force nécessaire de défoncer la porte. Mais au moins, ce serait toujours quelques secondes de gagné. Le jeune homme prit ensuite le double des clés de la cave, accrochés à une des étagères, avant de s'enfoncer dans la cave et de fermer à nouveau la porte. A nouveau, ce serait un obstacle supplémentaire. Hugo dévala les escaliers et tomba nez à nez avec le propriétaire de la boutique. Celui-ci lui lança un regard interrogateur et commença à ouvrir la bouche, mais Hugo le devança.

« Une folle m'a attaquée, en haut, expliqua Hugo sans prendre le temps de reprendre son souffle. Elle a carrément enlevé son T-shirt en me prenant à la gorge. J'ai paniqué, je lui ai donné un coup dans le ventre et... » Hugo s'interrompit net. Il lui semblait que c'était complètement ridicule, expliqué ainsi.

Mais le propriétaire acquiesça. Il connaissait assez Hugo pour savoir qu'il n'était pas du genre à inventer des histoires. Il était rarement ébranlé, et les bruits qu'ils entendaient au rez-de-chaussée étaient assez révélateurs. On aurait dit qu'une bête sauvage était en train de s'acharner en haut. Hugo se mordit la lèvre. Il n'aurait rien pu faire pour sauver le magasin, évidemment, mais tout de même, il se sentait responsable. Il allait sans doute travailler pour le magasin plusieurs autres fois pour essayer de réparer les dégâts...

« Le soupirail, désigna Hugo. Elle risque de venir ici, il vaut mieux qu'on sorte de là. »

Même à deux, il ne pensait pas qu'ils seraient capables de la maîtriser. Là encore, c'était son instinct qui le lui disait. Il lui suggérait de prendre rapidement la poudre d'escampette et de se rendre dans un lieu public, où elle ne pourrait plus l'atteindre.

Alors qu'il tentait d'atteindre le soupirail, Hugo entendit au loin un bruit étrange, comme si des ongles grattaient contre la porte. Enfin, des ongles, ils devaient être vachement longs et pointus pour être audibles jusqu'ici. Il n'avait pas regardé les mains de la jeune femme mais, si elle avait eu des armes de destruction massive à la place des ongles, il s'en serait rendu compte, non ? Le jeune homme essaya de ne pas céder à la panique, même s'il voyait bien que son ancien voisin commençait à avoir sérieusement peur. Il fallait pourtant bien que l'un des deux gardât le contrôle. Hugo avait de la chance : il vivait pour les mathématiques, par conséquent, il avait l'esprit très carré. Il avait peur aussi, mais il arrivait à le cacher. S'il pouvait convaincre son voisin, cependant, il ne pouvait pas se mentir à lui-même. C'était un cauchemar. Pourquoi était-il persuadé qu'elle allait le manger tout cru ? C'était comme si elle était cannibale, mais en pire. Le jeune homme ne la laisserait cependant pas la tuer. S'il le fallait, décida-t-il, il la tuerait lui. Il aurait des ennuis avec la police, mais comme c'était de la légitime défense, personne ne pourrait lui en vouloir. Le propriétaire de la boutique en serait témoin. Cependant, il fallait encore décoincer cette fichue issue. Pas facile, mais Hugo s'acharna.

La première porte explosa tout à coup, signe qu'elle l'avait bien enfoncée. Mais quelle force avait-elle ? L'angoisse saisit Hugo à la gorge. Serait-il assez rapide pour lui échapper ? Pourrait-il se défendre si jamais elle venait jusque là ? Il lui semblait qu'elle s'était arrêtée. Elle ne savait peut-être pas où il était. Cependant, au même instant, le propriétaire lui demanda ce qui venait de se passer. Bon, elle aurait conscience de sa présence, alors. Au même instant, le soupirail s'ouvrit. Hugo descendit et fit signe à son ancien voisin de passer. Celui-ci n'était pas très chaud.

« On n'a pas le temps, bon sang, alors allez-y. C'est moi qu'elle veut, de toute façon, autant ne pas lui donner la chance de vous avoir en plus. »

Le voisin ne se fit pas prier. Il n'avait pas le courage de Hugo, rêvait juste de s'en aller. Il se dépêcha donc de s'approcher du soupiral pour sortir. En attendant, pour courir sa fuite, Hugo décida de s'adresser à la jeune femme, qui savait de toute façon qu'il était là.

« Tu n'es pas obligée de me faire du mal, tu sais ? Je suis désolé si je t'ai nui à un moment ou à un autre, je t'assure que ce n'était pas dans mes intentions. Je ne suis pas quelqu'un de méchant, en général. On peut peut-être essayer d'arranger les choses ? »

C'était sans doute désespéré, mais au point où il en était, cela valait le coup de tenter. Elle allait sans doute bientôt enfoncer la porte. Aurait-il le temps de partir ? Son ancien voisin était déjà sorti, et s'enfuyait en courant. Hugo s'approcha à son tour du soupirail, et commença à grimper.

Les mains agrippées contre le rebord du soupirail, le genou collé au mur et la tête penchée en avant, vers la liberté, Hugo se figea un instant dans sa position, se demandant si ce qu'il entendait était bien humain. Peut-être que ça l'était. Peut-être que ça ne l'était pas. Ça n'en avait pas l'air, mais ça devait bien l'être. Ça ne pouvait être que cela, vu qu'ils étaient seuls. Pas de bête sauvage en ville. Pas de personnes susceptibles de faire des grognements. Elle avait l'air assez folle pour le faire, cependant. Ce serait bien son genre de se prendre pour une tigresse, ou un truc dans le genre, avant de sauter sur de pauvres types comme lui. Le jeune homme, immobile, entendit les grognements, et son cœur battit à tout rompre. Non, ça n'avait vraiment pas l'air humain. Cela le motiva à continuer d'escalader, à passer à travers le soupirail.

Mais une fois en haut, pourtant, il ne s'éloigna pas. Il voulait voir la fille qui le coursait, voir à quoi elle ressemblait. Voir la folie s'inscrire sur son visage, le délire courir dans ses yeux. Il voulait savoir ce que cela faisait que d'avoir en face de lui une psychopathe. Hugo ne se sentait pas comme un héros, ou comme un survivant, non ; juste comme quelqu'un qui avait l'impression de toucher du doigt le mystère de son existence, et qui se demande s'il est prêt à l'affronter. Peut-être n'était-ce pas le cas, mais le moment était là. S'il s'était retourné, il aurait déjà pu savoir. Peut-être qu'au fond, il savait déjà. Il savait que son copain n'était pas humain, mais sans vraiment le savoir. Tout cela faisait beaucoup de choses sues et de choses non sues, mais bon, le fait était que son petit ami était un loup-garou. Hugo vivait au milieu d'événements surnaturels dont il n'avait pas conscience, mais cela ne lui était pas totalement étranger. Parce que cette fille lui rappelait l'amour de sa vie, voilà pourquoi il restait là, à attendre de la voir débarquer dans la cave. Parce qu'il avait besoin de comprendre. Elle devait être comme lui. Elle était comme lui.

Le jeune homme sortit alors son portable, s'étonnant de ne pas l'avoir perdu en cours de route, mais se sentant rassuré en même temps. Si jamais quelqu'un passait par là, il allait s'étonner de voir un jeune gens accroupi près du soupirail ouvert, à tendre son téléphone dans l'espoir d'apercevoir quelque chose. Il avait pris la décision d'enregistrer la scène, étant incapable de regarder directement avec ses yeux. Peut-être qu'il n'était pas encore prêt, qu'il devait attendre...

Hugo attendit, attendit. Mais finalement, il ne vit rien. La jeune femme ne semblait pas revenir. Il n'y avait même plus de bruits bizarres. Les grondements sourds et animaux s'étaient tus, laissant place à un silence tout aussi inquiétant. Tenant toujours son portable de façon à filmer l'intérieur de la cave, Hugo commençait à souffrir de cette position. Surtout que le temps passait qu'il n'en aperçût rien ; elle n'entrait pas. Pas de bête étrange. La sensation de vivre un moment historique, de pouvoir toucher du doigt la vérité du monde, s'estompa. Pourquoi comprendrait-il le secret de l'univers maintenant, alors qu'il ne voyait plus rien ? Il s'était sans doute laissé entraîner par son imagination. Le jeune homme finit par éteindre son portable, clairement déçu de n'avoir rien vu. Alors il était encore passé à côté des événements, songea-t-il avec amertume. Une chose étrange lui arrivait, peut-être qu'elle était extraordinaire, voire même surnaturelle - bien que le jeune étudiant en mathématiques avait du mal à voir comment c'était possible - et lui n'y comprenait absolument rien. Tel était le fardeau du villageois : victime idéale, cible facile, qui ne comprend pas ce qui lui arrivait, et à qui on n'arrêtait pas de mentir, par nécessité certes, mais c'était quand même un mensonge. Le jeune homme ne saurait sans doute jamais, et cela lui donnait envie de pleurer. Pleurer, parce qu'il avait l'impression incompréhensible qu'il serait à jamais séparé du monde de son petit ami. C'était bizarre de penser à Asher alors qu'il se faisait courser par une jeune femme psychopathe, mais l'intuition de Hugo lui disait que tout était lié. Hugo ne faisait pas partie de ce monde, et cela lui faisait encore plus mal que s'il s'était fait violer. Il n'était pas de ce monde-là.

Dépité, désespéré, il partit à la recherche du propriétaire de la boutique. Il y allait avoir quelques dégâts, et Hugo se sentait obligé de les rembourser. La jeune femme n'en aurait sans doute rien à faire et, à supposer que le jeune homme découvrît qui elle était, il était hors de question pour lui de l'approcher. Ou de demander à son ancien voisin de l'approcher, également. Tant pis pour cela, il allait assumer. Au pire, faire croire qu'il avait peur, mais rien de plus. Lui non plus ne pouvait pas dire la vérité... ne serait-ce que parce qu'il ne la connaissait pas. Le jeune homme jeta un dernier regard en arrière, puis, se mordant la lèvre, il tourna les talons, partant à la recherche de son ancien voisin. La tête pleine de pensées, l'esprit fonctionnant au maximum de ses capacités pour essayer de trouver une excuse convenable.